Tension, refus, contradiction, objection, tout était effacé, gommé, annulé.
Elle essaya aussitôt d’aller dans le futur, et après, l’instant d’après, comment ferait-elle ? Comment ? Après, quoi, où, comment ? Et puis, pourquoi ? Depuis quand ?
Impossible.
Il n’y avait plus que ça, ce corps immergé dans l’eau de ce bain, les parois lisses, froides et blanches, l’eau fumante qui protégeait sa peau de l’air d’hiver.
Ce corps depuis si longtemps habité, utilisé, mouvementé, parfois oublié, ignoré, parfois reconnu, désiré, aimé.
Il avait toujours été là mais jamais elle ne l’avait perçu avec tant d’intensité. Elle était dedans, si intimement dedans, c’était trop fort, trop présent, ça tournait dans la tête, allait-elle perdre le lien ? Que se passait-il ? Était-ce la mort ? La fin ?
Comme un bébé, c’est ce qu’elle pensa.
L’esprit avait des sursauts de mouvement vers après, vers ailleurs, vers avant. Il revenait instantanément. Impossible de quitter l’instant, il n’y avait plus que ça, ce corps dans l’espace, maintenant. Plus que ça et pourtant tellement, tellement de place, tellement de choses à voir, à sentir, à explorer dans ce bain, dans cet être vivant, là, dans l’eau.
Son attention se posa sur ses mains, comme pour souffler, pour concentrer, pour ralentir ce flot de sensations qui naviguaient à travers son corps tout entier. Il lui fallait apprendre à respirer à travers cette nouvelle façon d’exister.
Ici, maintenant.
Elle pensait à ces deux mots. Elle les avait si longtemps cherché, dans les livres, les maîtres, les poètes. L’apaisement, le repos. Sortir enfin de ce monde de voix tremblantes, stridentes, irritantes qui courraient sans cesse, l’emmenaient toujours plus loin, plus tard, lui imposaient encore et encore d’autres vies, envies, devoirs, vouloir. Elle avait voyagé si loin, s’était engagée dans tellement de voies longues et difficiles.
Ses épaules étaient froides. Elle coucha un peu plus son torse pour immerger l’entièreté de son buste dans ce liquide chaud, transparent, enveloppant.
Ici et maintenant.
Elle sourit et déposa son être tout entier sur cette mèche de cheveux qui se balançait légèrement contre sa joue tandis qu’elle bougeait la tête et le corps pour se délecter de la sensation de caresse que laissait le mouvement de l’eau sur sa peau.
Elle était juste là, comme un bébé, et cette pensée n’avait fait que passer, tout comme l’eau, le bain, son corps, sa mémoire et son passé, son présent, cet instant.